« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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mardi 18 octobre 2016

Les Misérables de Victor Hugo... le curieux chemin de l'exemplaire de Philippe Burty (avec envoi)

Amis Bibliophiles bonjour, 

Il y a quelques jours était adjugé sur ebay un exemplaire des Misérables, de Victor Hugo, portant un envoi de l'auteur à Burty.


Comme le précisait le vendeur, Philippe Burty, écrivain et critique d'art "est l'un des proches d'Hugo. Précieux soutien des impressionnistes, les deux hommes collaborent ensemble, notamment sur les projets d'illustrations des oeuvres du maître. Burty à l'oreille d'Hugo qu'il conseille en tant qu'éditeur et ami. Personnalité influente, haute en couleur et avant gardiste, il contribua à l'émergence du japonisme dont il crée le terme. Pendant la Commune de Paris, en 1871, journaliste au Rappel, il soutient également l'action de la Fédération des artistes de Gustave Courbet et publiera la correspondance de Delacroix à sa demande."

Un exemplaire de choix donc, dont j'ai suivi la vente et qui sera adjugé à 12 810 euros, un "prix" sur ebay!


Après tout, cet ouvrage avait tout pour plaire, le texte, l'auteur, l'envoi, le destinataire de l'envoi, Philippe Burty.

Ce qui est intéressant avec Burty, c'est que sa bibliothèque fut mise en vente et que l'on peut en consulter le catalogue. Au lot 824, on retrouve bien un exemplaire des Misérables, qui porte bien un envoi à Burty. Il se trouve d'ailleurs que c'est bien l'envoi que l'on retrouve également sur l'exemplaire vendu sur ebay: "A mon excellent ami. M. Ph. Burty".


Ce qui est troublant, c'est que dans le catalogue Burty, l'exemplaire (appelons le A) portant le même envoi que celui d'ebay (appelons le B), est décrit comme un exemplaire de "Nouvelle édition". L'exemplaire B, lui, porte la mention fictire de "Septième édition" ou de "Huitième édition". Au passage, le vendeur ebay titre son annonce "Edition originale", avant de préciser dans la description qu'il s'agît de la première édition française - on sait que les mentions d'édition sur cet ouvrage sont trompeuses.


Mais revenons au catalogue Burty.Au delà de la différence d'édition mentionnée entre A et B, surprenante, l'exemplaire A se distingue également de l'exemplaire B sur le plan de la forme.

Dans le catalogue Burty, A est décrit comme étant relié en "cart. perc. r. non rog.", ce qui pourrait se traduire en cartonnage percaline rouge non rogné.

L'exemplaire B, lui, on le constate, est relié en "Demi chagrin vert bronze".


Deux exemplaires qui portent donc le même envoi mais sont reliés de façon très différente.

Les différence ne s'arrêtent d'ailleurs pas là, puisque la description de l'exemplaire A ne fait mention d'aucune gravure alors que l'exemplaire B est lui "enrichi de la très RARE SUITE (complète) des 20 planches gravées hors texte et sur papier fort par Outhwaite".

Le vendeur de l'exemplaire B précise d'ailleurs que "la même année (1862), les éditeurs des Misérables firent chacun paraître un album, vendu séparément, pour illustrer le roman. Selon Carteret et Vicaire, Lacroix à Bruxelles proposait en effet aux amateurs 20 compositions de Castelli et d'Alphonse de Neuville, gravées sur acier par Outhwaite en un album in-8. Pagnerre, à Paris, fournissait quant à lui un album de 25 photographies d'après des dessins de Brion, plus un portrait d'Hugo par Radoux.



​Ces deux suite de planches sont excessivement rares et il très peu fréquent de les trouver reliées (l'une comme l'autre) à l'époque: La plupart des exemplaires à la vente ne les comportent pas et rendent cet ensemble -si tant est qu'il faille le souligner- encore plus précieux."


La vente des ouvrages de Philippe Burty eu lieu en 1891. A cette date, il est donc certain que l'exemplaire portant l'envoi: 1. ne comportait pas de gravures, 2. était relié en "cart. perc. r." 3. portait la mention "Nouvelle édition".

Il est donc acquis qu'en 1891, l'exemplaire B ne pouvait aucunement être l'exemplaire B et vice versa.

Une curiosité donc que cet exemplaire B, qui n'est PAS l'exemplaire Burty, vendu en 1891, mais probablement une manipulation ayant eu lieu depuis. 

Je ne suis pas spécialiste de ce genre de choses, mais on peut penser que la page comportant l'envoi est venue truffer un exemplaire relié différemment, qui contenait, au s'est vu ajouter à l'occasion, les gravures.

Evidemment, ces manipulations ajoutent de la valeur à l'exemplaire, ce qui lui a permis d'enregistrer un joli prix d'adjudication.

Je ne sous-entends aucunement que le vendeur ebay a opéré à ses manipulations, mais je serais très intéressé de connaître l'origine de l'ouvrage, pour voir si on peut retrouver sa trace dans d'autres ventes depuis 1891, et sous quelle forme. 

H

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien vu Hugues!
Quand un exemplaire nous semble enviable, on est tenté de le reconnaitre dans d'anciens catalogue coûte que coûte, même si ça ne colle pas à 100%
La manipulation a pu se faire aussi à la reliure de l'exemplaire B, il y a un moment déjà.
J'évalue mal la date d'une telle reliure : vers 1920 je dirais, je ne sais pas trop...
Comme quoi, et c'est le plus dur, il ne faut jamais s'emballer!

Ce n'est pas nouveau ce genre de chose : voir Renouard et son exemplaire de Platon truffé (truqué?) avec un autographe de Rabelais.

Wolfi

Daniel a dit…

Ce pourrait être le même exemplaire, on peut imaginer que le catalogue Burty précise peut être nouvelle édition pour ne pas dire 8e trop dévalorisant, un peu comme en vin un cinquième cru classé 1855, qui précise rarement 5e, mais écrit plutôt grand cru classé, si c'est la 8e c'est aussi une nouvelle édition. Il a peut être été enrichi par l’acquéreur de la vente Burty au moment de la reliure ?

Daniel B.

Unknown a dit…

Merci beaucoup pour cette observation passionnante !

Daniel a dit…

Intéressante notice de la librairie le feu Follet qui vendait un exemplaire de l'EO, sans mention d'édition :"Afin de faire un point sur les divers jugements des bibliographes : Alors que Vicaire signale que l'édition française est la véritable originale, Clouzot affirmant que les deux sont originales, on doit préciser que l'édition belge est parue trois jours avant (le 31 mars pour Bruxelles et le 3 avril pour Paris), mais la vérité ne tient pas à une histoire de date. Lacroix est l'éditeur de Hugo, Pagnerre n'en est que le dépositaire à Paris, ce qui explique la présence du nom de Lacroix derrière le faux-titre, conjointement à celui de Lacroix. On sait en outre que L'oeuvre devait paraître dans toutes les grandes capitales en même temps, ce qui arriva à quelques jours près. Pour la question des mentions, cela est vraisemblablement assez simple : pour des raisons commerciales de coût on a procédé à un seul tirage, certains avec des mentions, d'autres pas, afin de les distribuer au cours de l'année comme si chaque fois, il s'agissait de nouvelles éditions. On comprend Clouzot disant qu'une édition sans mention est plus désirable, car elle parait avoir été antérieure, mais dans les faits, et pour vendre, quand les pages de titre sans mention ont été épuisées on a vendu dans le désordre ces pages de titres avec mention ou non, et on a composé très souvent des exemplaires portant différentes mentions, il est cependant vrai que les exemplaires sans mention furent les premiers mis en vente, et que les éditions avec mention possèdent des pages de titre en rouge et noir."

Hugues a dit…

... A dissuader les bibliophiles!!

Daniel a dit…

C'était d'ailleurs étonnant qu'ils fassent cette notice alors que leur exemplaire était sans mention, donc incontestable et des plus désirable, belle preuve d'honneteté qui les a servi, puisqu'il est vendu.

Daniel B.

Anonyme a dit…

... et si Victor avait offert deux exemplaires (A et B) à son vieux copain... et que le vieux copain, ayant un doublon et manquant de place dans son petit appart, avait offert un des deux exemplaires à un ami... et le jour de la vente Burty on n'a eu qu'un exemplaire (le A) car le B dormait chez son beau-frère ou son copain de bridge... enfin moi j'en sais rien ! en tous les cas passionnant, merci ! Xavier

Daniel a dit…

Si on se remet dans le contexte de 1891 époque a laquelle les bibliophiles faisaient presque systématiquement bien relier et truffaient leurs exemplaires, il est quand même très probable que l'acheteur de l'exemplaire Burty ne se contente pas d'un modeste cartonnage percaline, mais fasse relier et truffer l'exemplaire à son goût. Une piste de réflexion : est-ce qu'il a réellement existé des pages de titre avec "nouvelle édition" et l'année de l'originale, ou est ce qu'il n'y a eu que des 2e 3e 4e etc ? d'autre part, il faudrait avoir la chance de trouver un catalogue Burty avec les adjudications et noms d'acheteurs cela donnerait une idée, on voit passer parfois ce type de catalogue.

Daniel B.

Anonyme a dit…

Le seuil des 500 abonnés est franchi ! Peut être depuis plusieurs jours, je n'y avais pas fait attention, en tout cas bravo H. !

B.

Pierre a dit…

Article très intéressant qui renvoie à l'histoire des ouvrages, souvent aussi passionnante que leur contenu. Un abonné lecteur : Pierre

calamar a dit…

Bonjour Pierre ! heureux de voir ta signature !

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