« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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jeudi 27 avril 2017

Les ventes de livres en Union Soviétique, la grande braderie

Amis bibliophiles bonjour,


Il y a quelques temps, je m’étais interrogé sur des ventes de livres précieux dans les années 1930 par le gouvernement soviétique :
Mais malheureusement, je n’avais pas eu d’éléments précis sur le détail de ces ventes un peu mystérieuses. C’est en faisant quelques recherches sur un livre exceptionnel proposé chez un libraire parisien (j’essaierai par la suite de rédiger une petite note sur la provenance de ce livre), que j’ai découvert que des chercheurs avaient étudié le sujet et avaient rédigé des ouvrages et articles fort intéressants.
Je vous en fais part car ils ne sont pas très connus (cest un avis tout personnel) et donnent de nombreux renseignements très bien documentés sur ce qui s’est passé dans les années 1920/1930.
Tout d’abord, un livre présentant le sujet des ventes de biens précieux dans son ensemble : « Treasure into tractors » par Mme Odom et Mme Salmond.


Puis un livre plus axé sur l’achat des institutions américaines : "A dark mirror" par M. Davis et M. Kasinec.



Et enfin, un article (en français!) de M. Mikhail Afanassiev, Directeur de la Bibliothèque Publique de Moscou, qui résume la partie livres :

« La vente de livres anciens par le gouvernement soviétique dans les années 1920-1930 » que l’on peut trouver dans le Bulletin du Bibliophile 2006, n°2, pages 350-369.
J’en profite pour le remercier chaleureusement de sa disponibilité, et des précieux renseignements qu’il a bien voulu me fournir.

On y découvre que le régime soviétique manquant de liquidités, avait commencé à vendre en masse divers objets précieux dès le début des années 1920.
Des wagons entiers de livres (mais aussi des meubles, des bijoux, des tableaux…) avaient été alors proposés sur le marché occidental à vil prix. La saignée durera une quinzaine d’années (de 1920 à 1935).

Il faut savoir que ces collections russes de livres, assemblées par des aristocrates proches de la famille impériales (Stroganov, Sheremetiev, Iusupov, Shuvalov…) ou par la famille impériale elle-même (Catherine de Russie, Paul 1er…),  étaient d’une richesse inouïe. 

Ces bibliothèques d’exception s’étaient constituées dès le 18e siècle et comprenaient des éditions précieuses dans tous les domaines de la bibliophilie.

Pour les livres français, la noblesse russe imprégnée de la culture des Lumières (peut-être pas au niveau pratique si lon regarde la radicalité de la révolution russe par la suite), avait accumulé des trésors sous l’impulsion de Catherine de Russie, et par la suite, s’était nourri des cendres des ventes françaises post révolutionnaires. Ces familles fortunées avaient acquis des livres précieux en masse sur les marchés français et anglais entre les années 1790 et 1850, accumulant  ce qu’il y avait de plus beau.

Pour s’en faire une idée, il suffit de regarder  certaines ventes :

-          Golowkin  de 1798 :


On jetera un coup d’œil sur le n°384 :)

-          Galitzin de 1866 :


Dès 1920, dans la tourmente révolutionnaire,  les bibliothèques impériales furent regroupées. Et toutes les bibliothèques privées de plus de 500 livres, furent confisquées et regroupées au sein de gigantesques entrepôts. On hésita alors entre les brûler ou les vendre (véridique! voir larticle de M. Afanassiev).



Et les livres furent vendus dans un premier temps… au poids !

Ainsi pour 1923-1934 par exemple, il y eu 68 tonnes de livres exportées pour une recette de 77.000 roubles.
Soit environ 1 kg de livre = 1 rouble = 0.6 $.
Je vous laisse découvrir par vous-même le récit de ces ventes dans les ouvrages et articles précités. Les ouvrages vendus n’étaient pas tous de première qualité, mais le mode opératoire était proprement hallucinant !

Puis à partir des années 1928, lindustrialisation du pays nécessitant plus de capitaux, les autorités se résolurent à passer au stade supérieur pour la vente des biens culturels. Une société Antiquariat fut missionnée pour  vendre des objets précieux dont des livres.
Des « Brigades de choc » furent créées pour expertiser et soustraire des grandes bibliothèques, les exemplaires précieux pouvant rapporter des devises.
Il y eut plusieurs vecteurs de vente :
1 -  Par l’intermédiaire de bulletins édités par Mezhdunarodnaia Kniga (n°1 en 1924 - n°78 en 1936)



2  - Les ventes publiques en Allemagne, en Suisse,  ou aux USA.



La bibliothèque d’Heidelberg a judicieusement mis en ligne certains catalogues :

- chez Gilhofer et Ranschburg : ventes de 1932 et 1933



- chez Joseph Baer : vente de 1931



On retrouvera d’ailleurs en Suisse dans les années qui suivirent, bon nombre de ces livres, par exemple la bibliothèque du Chateau de Sully en 1937 :



A noter également des ventes aux USA  dont celle-ci :


Si certains dentre vous sont intéressés par les ventes de meubles et de peintures, vous pouvez aussi en trouver sur le site de luniversité dHeidelberg : il suffit de regarder des catalogues numérisés des deux SVV Gilhofer et Baer.

 -  Les ventes au gré à gré avec des marchands (Maggs Bros, la librairie Georg dont je vous avais parlé, la librairie Kraus à New York).

Des institutions américaines se portèrent également acquéreurs de nombreux ouvrages.
Les chiffres donnent le vertige : la bibliothèque universitaire d’Harvard acheta 39.000 volumes au total et un marchand comme I. Perlstein exporta,  juste pour l'année 1931, plus de 10.000 volumes.
C’est ainsi que la Bible de Gutenberg fut vendue à Martin Bodmer. 
Et le Codex Sinaiticus au British Museum pour la moitié de la somme demandée, soit 100.000 £. 
Le récit passionnant en est donné dans « A Dark Mirror ».


Malheureusement, de toutes ces ventes, surtout celles au grè à gré, ne restent que très peu de traces…
Au total, sur la période 1920-1935, plus de 1600 tonnes de livres furent vendues officiellement. Ce qui représente au moins 4 millions d’ouvrages.
Plus sans doute la même quantité, sans quil ny ait eu dattachement écrit.

Le libraire Percy H. Muir a également laissé dans ses mémoires, de précieuses anecdotes que lon peut retrouver dans :

-          « The book Collector » : 
o   X de 1961 p435-439
o   XI de 1962 p55-61, p197-203, p323-329, p460-465
o   XII de 1963 p55-59, p333-337
o   XIII de 1964 p45-51

-          The Colophon » New York 1932 part 11 "The Russian Adventure"

On peut consulter ces deux titres gratuitement à la bibliothèque Sainte Geneviève par exemple, cest assez savoureux!


Mais il ne s’agit là que d’un simple résumé...
Aussi je vous invite, si le sujet vous intéresse,  à vous procurer les articles et ouvrages in extenso, car c’est vraiment passionnant !


Bonne lecture à tous,

Wolfi

4 commentaires:

Philippem a dit…

Hugues,
Je ne sais pas si je suis le seul dans ce cas, mais les images ne s'ouvrent pas sur mon ordinateur ...

philippek a dit…

Merci pour cet article!
PS: j'ai les images (sur mon téléphone )

Daniel a dit…

Merci beaucoup pour cet article, à la hauteur des livres de l'auteur, reste à l'imprimer et le relier en maroquin.

Daniel B.

PARIS-LIBRIS a dit…



Merci pour cet article passionnant. Bien des livres ont connu des histoires mouvementées qui restent à découvrir. Je pense notamment aux ouvrages disparus dans la tourmente nazie et que l'on commence à recenser pour tenter de reconstituer des bibliothèques éparpillées dans toute l'Europe et même en Russie.

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