Les Chinois ont inventé le papier au début de notre ère, en 105 après J.-C. Il a d’abord été employé comme support pour l’écriture, puis il fut teinté en surface. Chaque couleur avait alors sa signification particulière : le jaune contenait une substance épicée censé éloigner les insectes (conservation). Ces premières expériences décoratives encouragèrent le développement de techniques de plus en plus sophistiquées. Et le raffinement de la société chinoise était tel qu’il n’aurait pas permis l’utilisation d’un matériau sans qualité décorative ni esthétique. Sont donc apparus les premiers motifs décoratifs imprimés, ces techniques deviendront par la suite de plus en plus raffinées ; on saupoudrait d’or ou d’argent les papiers. Vers le Xe siècle, d’autres procédés apparaissent : papier à la colle et papiers « tigrés » (les couleurs sont jetées et forment un semis de petites tâches)
C’est vers le VIIIe siècle que les Japonais apprirent des Chinois la technique de fabrication du papier. Très vite il devint un objet de culte et de tradition. Dans ce contexte, la décoration du papier a connu un essor vertigineux. Les tous premiers papiers marbrés se font au Japon, en appliquant et en agitant une couleur unique sur de l’eau pure ; le « suminagashi « était né et devenait l’apanage de la famille impériale. Les techniques de décorations se multiplièrent : les papiers pliés et teintés, les papiers « batik ».
L’art des nuages :
Ce n’est qu’au XVIe siècle qu’apparut la marbrure telle qu’on la pratique encore aujourd’hui. Les papiers marbrés étaient utilisés, soit comme support de calligraphie, soit comme encadrement de miniatures. Les motifs traditionnels étaient alors les cailloutés et les peignés ; certains marbreurs turcs du XIXe siècle ont développé un art très particulier avec des motifs figuratifs floraux.
Ce n’est qu’au XVe et XVIe siècle que ces techniques de décoration du papier sont apparues en Europe. Il s’agissait principalement de techniques d’impressions pour les papiers peints muraux. Les papiers à la colle étaient aussi très utilisés en France, en Italie et surtout en Allemagne où il existait des ateliers spécialisés dès le XVIe siècle. Au XVIIe et XVIIIe siècle la marbrure connut son apogée, elle est principalement utilisée dans les reliures et les cartonnages ; les principaux motifs étaient alors : les peignés, les coquilles et les cailloutés. En Allemagne, certains papiers étaient imprimés et dorés par gaufrage à chaud, de feuilles de cuivre ou d’argent sur un papier à la colle uni ou multicolore.
Miniature indienne marbrée représentant une scène de chasse (musée national de New Dehli)
Au XIXe siècle, l’industrialisation et la mécanisation supprimèrent l’aspect artisanal de la décoration du papier. En marbrure, on remet au goût du jour les motifs traditionnels tout en développant les papiers à la colle.
Au XXe siècle, l’art de la marbrure subit un certain déclin ; il y a très peu d’artisans capables de reproduire les motifs traditionnels. Peu à peu, la marbrure fut délaissée par certains au profit de réalisations beaucoup plus modernes et originales. L’apparition de nouveaux produits, l’adaptation de certaines techniques du papier, permettent aujourd’hui une plus grande liberté de création et une plus large utilisation des papiers décorés.
Les papiers à la colle :
D’origine ancienne, ce procédé, permet des réalisations particulièrement originales. Les couleurs (en tube ou en poudre) ne se fixent pas au papier tant que la colle d’amidon n’est pas sèche.
La technique de la décoration « à la colle » est certainement antérieure à toutes les autres, du fait de sa préparation très simple : il s’agit en effet de mélanger des couleurs à une colle de farine, puis d’étendre directement ce mélange sur la feuille de papier, à l’aide d’une grosse brosse
Pour la réalisation des motifs, on se sert de peignes, de spatules, de grilles, de morceaux de bois…
Deux exemples de papiers à la colle
Les papiers tirés :
Même technique que pour le papier à la colle, mais on utilise de la colle de farine (plus ferme), les deux feuilles se détachent dans un mouvement régulier.
Ci dessous, un papier tiré, réalisation du papier tiré
La marbrure :
Le motif n’est pas exécuté directement sur un papier absorbant (oriental, chinois ou japonais de 130/150 g.) ; il est d’abord réalisé à la surface d’un liquide, puis transféré sur le papier. Il y a plusieurs techniques : sur eau, avec des peintures grasses (encres de typographie ou peinture à l’huile) ; sur gomme, avec des peintures grasses ou des encres de Chine.
La marbrure sur gomme
Née en Turquie au XVIe siècle, elle a pour base la gomme adragante, suc gommeux issu de l’incision de l’écorce de certains arbustes du genre astralagus. Ces végétaux poussent au Proche-Orient ou en Grèce. Au XIXe siècle, la gomme adragante a été souvent remplacée par le lichen carragheen, algue gommeuse qui donne en marbrure plus d’éclat aux couleurs et plus de précision au dessin.
Aujourd’hui comme hier, les couleurs traditionnelles sont des pigments minéraux (ocres, oxydes naturels, etc.) ou végétaux (indigo, bois de Brésil, etc.)
La pose des couleurs, les peignes, le peigné
La feuille, le séchage des feuilles
Il y a trois grandes familles : les marbrés, peignés et les cailloutés
Les marbrés : Le marbré, très employé par les romantiques, est un caillouté dont la particularité principale est que chaque goutte est bordée par un anneau plus clair. L’Empire voit naitre un nouveau modèle qui annonce les marbrés romantiques, le fond est souvent bleu, noir ou rouge, et sur ces couleurs qui deviennent de fines veines, sont jetées des taches bleues parsemées de minuscules bulles blanches comme un bouillonnement et qui donnent un aspect poudreux.
Deux différents peignés droits, dits « non pareils » Le sens d’un papier peigné :
Jusqu’au XVIIIe siècle, ils étaient généralement disposés dans le sens de la largeur, pointes des motifs orientés vers la gouttière ; aujourd’hui certains papiers continuent à être marbrés ou imprimés de manière à respecter cet usage. Tel est le cas de la plupart des petits peignés aux motifs très serrés. Dans un souci de conformité avec les critères décoratifs des reliures couvrant cette période, de tels papiers sont tout à fait indiqués.
Avec les peignés larges on innove en employant le dessin dans le sens de la hauteur, c'est-à-dire, la pointe du motif dirigé vers la tête du livre.
Les cailloutés :
Motif caillouté sur un ouvrage de 1840
Les scrotels, ou schroetel :
le scrotel romantique est un papier caillouté à une seule couleur, ils sont souvent utilisés comme gardes, alors que les plats étaient en œil de chat. La plupart des scrotels seront polis à la pierre d’agate.
La Révolution donne un coup d’arrêt au papier marbré, on se sert d’un papier à la colle marron, ocre rouge ou plus souvent bleu vif. Sous le Premier Empire, on emploie encore le papier à la colle, surtout pour les travaux courant.
Identification de quelques types de papiers marbrés
Autre type de motif peigné, bouquet ou feuillage
Les tourniquets, qui sont une évolution des peignés
Motif coquille, milieu XVIIIe
Deux types de papiers flammés
Feuille de chêne, Peigné ondulé à quatre couleurs, dans le genre XVIIIe genre XVIIIe
Papier ombré, XIXe (1825-30), marbré sur eau
Les papiers dominotés :
Il s’agit d’une technique particulière de décoration du papier qui est imprimé au moyen d’une planche de bois. La surface du bois qui crée l’impression est en relief, alors que le fond est creusé ; le dessin en relief est encré et imprimé sur le papier par une pression du bois tout entier.
Tampons de bois pour la réalisation de papiers dominotés
Voilà! Merci Xavier pour ce superbe message, vraiment.
H
Sources consultées :
- Bertrand, pour les trois premiers papiers dominotés
- Z1k, pour le dominoté de 1740 (sur l’histoire des Celtes)
Merci de votre aide.
- Google Books, qui numérise les pages de gardes en couleur
- Stéphane Ipert, Florent Rousseau-Le papier décoré, Dessain et Tolra, P., 1988
- Marie-Ange Doizy-De la dominoterie à la marbrure. Histoire des techniques traditionnelles de la décoration du papier, Arts et Métiers du livre, P., 1996, il existe une édition de tête, tirée à 200 ex. avec son portfolio contenant les échantillons de papiers décorés anciens et modernes d'une trentaine de marbreurs.
-Papier(s), Seuil, 2000
Métiers d’art, septembre 1991, n°44, La Reliure
13 commentaires:
Merci de ta participation pour la mise en page, mon article transmis ce soir est déjà en ligne, Bravo.
Merci pour ce splendide article. Maintenant je vais pouvoir mettre des noms sur les différents papiers que l'on est amené à rencontrer.
Eric
Superbe! Félicitations pour cet article Xavier!
Au fait, comment appelle-t-on les bibliophiles qui sont également amoureux des pages de garde marbrées de leurs livres??
Merci les gars, ça me fait plaisir, j'ai écrit cet article pour vous tous.
Pilou, j'ai cherché, rien trouvé et je ne sais pas.
A Bientôt
xavier
Félicitations pour cet article de fond. Vraiment ce blog est un must !
Je précise que j'ai enlevé une dizaine de photos pour réduire la taille du message et son éventuel temps de chargement. Et notamment parce que la mise en page sur un outil de blog est moins simple que sous word, par exemple.
H
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Bravo! Ce genre de message me rend définitivement addictif à ce blog.
Xavier, merci pour ce fantastique article. Moi qui suis (pardonnez l'expression) raide-dingue des papiers décorés, marbrés... je suis servie :)
A consommer sans modération, merci votre recherche est excellente
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