« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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jeudi 4 mai 2017

Moi Président: mon projet pour la France, petit rêve bibliophile

Amis Bibliophiles bonsoir,


Il y a quelques jours, j'ai rêvé que je me présentais aux élections sous la bannière de la bibliophilie. J'avais baptisé mon parti "Re-lions nous", annonçant dès le début mon dessein profond, réunir les français autour de ce qu'ils ont produit de plus beau, les livres.


C'était un joli coup, et je séduisais immédiatement les bibliophiles de tous âges, des plus jeunes (73 ans) aux plus âgés (...). 

Ce mouvement tournant, exécuté avec la précision du scalpel du relieur englobait dans le même geste les médecins, les pharmaciens, les chasseurs, les littérateurs, les voyageurs, les curieux, les intellectuels, les professeurs et tous les autres... Rapidement cette armée d'ambassadeurs se faisaient mes apôtres dans les salons feutrés, les cabinets et les salles de classe de la République.

Subtilité... je ne me vendais presque que sur une étiquette, un slogan, puisque dès le début il était acquis que les bibliophiles électeurs ne risquaient pas d'ouvrir mon programme.

Néanmoins, parce que la vague surprît tout le monde, moi le premier, pour ne pas souffrir de la comparaison avec les autres candidats, et à destination des médias, j'optais malgré tout pour une plaquette que je faisais relier par l'atelier Moura; générant du travail pour les 5 ans à venir. 

L'atelier Moura devînt rapidement la première entreprise française cotée au CAC 40, et tout ceci donnait un sérieux coup de fouet (évidemment) à toute la filière française. J'insistais pour que toutes ces plaquettes soient reliées de veau ou de maroquin, mais imprimées sur papier recyclé. 

Au 500ème mille, des ateliers parallèles s'ouvraient à Lyon, relançant les filières bovines et caprines, qui peineraient malgré tout à fournir les peaux nécessaires; l'élevage se redressait, entraînant avec lui l'agriculture.  

L'école Estienne n'avait d'autre choix que d'ouvrir des succursales dans toute la France pour accueillir des bataillons de futurs apprentis, encourageant cet autre pilier de notre vie économique. Pour loger ces jeunes apprentis, la jeunesse de France, l'industrie du bâtiment se lançait à son tour dans un fantastique plan quinquennal que nous lançâmes au salon du bâtiment, dont le nom Batimat fut rapidement remplacé par BiblioBatimat. Et quand le bâtiment va...

La relance, la relance enfin, avant même d'être élu, l'on me tressait des louanges sur les routes de France, l'Europe partout m'acclamait, le monde avait les yeux tournés vers cette bibliorévolution. Quand mes concurrents jouaient à "attrape mon poulpe si tu peux" ou se faisaient tailler des costards, je marchais littéralement sur le vélin. 

Partout dans le pays, les tensions commençaient de s'apaiser. Déjà, sous l'impulsion, ma France retrouvait le plein emploi, les libraires anciens devenaient des oracles, les bibliothécaires des sages, les frontières se réouvraient et les français réouvraient les yeux sur la tradition d'accueil de notre belle patrie. 

L'étranger, justement, n'était plus un étranger, mais le partenaire de cette croissance retrouvée où nous vivions tous ensemble. Nous étions re-liés. Enfin. Chacun trouvait sa place dans une société entière qui désormais fonderait l'intégralité de son succès économique sur la connaissance.

Evidemment, plus le scrutin approchait plus j'étais attaqué. Mediapart croyait avoir retrouvé la trace d'une pénalité de retard dans la bibliothèque de mes années étudiantes (certains crachaient que les pénalités allaient se monter à des centaines de milliers d'euros, ou de francs, ou d'écus, enfin ils n'étaient plus certains...). On me promettait "il veut être Flaubert, il finira Uzanne", certains évoquèrent même un compte aux îles Lortic. Les insoumis rappelaient que le livre était depuis toujours un instrument de pouvoir sur les masses et qu'ils préféreraient s'abstenir plutôt que de glisser un bulletin de vote dans l'urne de la connaissance. 

A l'extrême droite, finalement, j'étais moins attaqué, ils étaient trop occupés à rédiger des fiches sur la différence entre un téléphone et une turbine, et à pourchasser les journalistes. Cela frustrait un peu mon instinct de bretteur, j'en conviens. 

Les grands partis, eux, ne surent pas réagir, voyant leurs membres quitter leurs rangs et rejoindre inexorablement ceux que tous appelèrent très vite "Les Re-lieurs". 

Je compris que tout ceci devenait un peu trop sérieux quand des t-shirts "Je suis Gutenberg" se mirent à apparaître dans les rues, malgré mes protestations. 

Très vite aussi, une nouvelle mode s'empara des adolescents qui se mirent à faire des bookselfies et à les répandre sur les réseaux sociaux. 

A la télévision, les émissions "Le meilleur bibliophile de France", "Masterlibraire", "Une nouvelle bibliothèque pour une nouvelle vie" se mirent à fleurir, sans parler du dramatique accident survenu lors du premier épisode de "Book Lanta" où un bibliophilie sauta à la gorge de son concurrent lors de l'épreuve de collationnement rapide, lorsqu'il l'entendit parler d'un exemplaire qu'ils avaient tous deux convoités dans une grande vente.

Ma seule fierté fût finalement l'émission de Canal Plus, le Canal Bibliophile Club, que je retrouvais avec plaisir pendant 6 heures chaque dimanche. Même si c'était un peu court. Et je ne parle pas des "Des Livres et des Lettres", qui remplaça bien vite la mythique émission "Des Chiffres et des Lettres", ou de "Questions pour un bibliophile"...

Sur internet, la même folie, mais c'est adopteunbibliophile qui se tailla la part du lion. Etre un(e) bibliophile n'était plus seulement gage de goût, mais aussi très prometteur dans la perspective de plus en plus proche de mon arrivée au pouvoir suprême. Des carrières rapides s'annonçaient, de nouveaux Rastignac me contactaient à tout moment.

Pour clore la campagne, je décidais de lancer mon anaphore présidentielle:

"Moi Président, je ferai disparaître les frais dans les ventes aux enchères,
Moi Président, j'offrirai un ouvrage ancien à chaque collégien,
Moi Président, je nationaliserai les ateliers Moura pour garantir la sécurité et l'indépendance économique du pays,
Moi Président, j'interdirai la spéculation sur les manuscrits et autographes".

Que n'avais-je pas dit, ces quatre lignes me firent faire un dernier bond et une victoire dès le premier tour s'annonçait. Mon équipe de campagne se réunit et l'on décida de prendre les devants, il fallait une photo présidentielle avant même d'entrer à l'Elysée. La réunion fût brève, on me demandait de choisir 30 de mes livres pour l'arrière-plan......

Comment cela seulement trente? Qu'allaient penser les autres ouvrages délaissés? Comment pourrais-je faire ce choix impossible?

Ca, c'en était trop, je renonçais.

H

11 commentaires:

PARIS-LIBRIS a dit…

Si seulement c'était vrai ! Merci pour ce délicieux texte.

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Unknown a dit…

Charmant...

Unknown a dit…

Spirituel et charmant...
À quand un commentaire sur le salon du livre parisien ?

Anonyme a dit…

Mais tu nous fais rêver Hugues :)
Et que fais tu des grands Hommes de la Nation : Boyet, Derome le Jeune, La Vallière, Hoym..?
Soutenez le projet sur #LePanthéonPourlesGeants !

Wolfi

calamar a dit…

l'extrême droite réplique en promouvant les reliures sur peau de porc..

OuvrardAc a dit…

Monsieur le (futur) Président, je vous suggère de prendre tout de suite CALAMAR dans votre équipe de campagne et de le nommer Responsable des punchlines" :D !

philippek a dit…

Excellent!

TITIVILLUS a dit…

Bonjour

Votre excellent article m'a remis en mémoire une petite recherche que j'avais effectuée concernant les photos et portraits des divers présidents de la république sur lesquels apparaissent des livres ..

Un peu long pour l'espace dévolu à ce commentaire : je le publie sur mon blog : " titivillus.over-blog.com "

Anonyme a dit…

Enfin, un peu d'humour en cette période chagrine et acariâtre.

J'observe tout ça à la hausse mille, depuis la Belgique.

Merci Hugues, je suis tout rajeuni, me reconnaissant dans les jeunes bibliophiles.

René (78 ans aux prunes)

Anonyme a dit…

Oui, Scoubidou: revenons à l'essentiel. Certains d'entre vous sont-ils allés au salon du Livre ancien à Paris, le mois dernier ? Des remarques, commentaires, découvertes ??

Merci d'avance !

Franck

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